Le pitch : trouver l’accord parfait entre un vin et une spécialité pâtissière qui a l’ambition de devenir LA spécialité de l’Anjou. Le décor: les produits de la région.
La guest star : un gâteau moelleux garni d’une ganache au chocolat : le Chocoroi. Avec, dans le rôle de l’œnologue réputé et maître de conférences à l’Université d’Angers, Jean-Michel Monnier. Et dans celui de l’artisan pâtissier à la tête d’une PME de 80 salariés et 6 boutiques, Nicolas Bécam.
D’emblée, sont donc exclus des recherches les whiskies, rhums agricole, cognac, armagnac, qui auraient pu prétendre à cet accord. De même, les vins mutés aux arômes de rancio comme les portos, pineaux des Charentes, Rivesaltes, qui n’ont pas de légitimité régionale.
Jean-Michel Monnier : il y a bien des eaux de vie de marc des coteaux de la Loire, mais ça représente trois producteurs simplement sur la région…
La recherche c’est ensuite portée sur des vins rouges évolués : des Anjou Villages Brissac, des Anjou Rouges, avec des Saumur Champigny et des Touraine qui ont un petit peu d’âge.
L’accord n’était pas inintéressant,
mais il y avait une pointe de sucrosité dans le gâteau qui perturbait la dégustation.
Et spontanément les consommateurs n’iraient pas acheter un vieux vin rouge ou sortir de leur cave un vieux cabernet franc.
Sur un vieux cabernet d’Anjou, on retrouve cette note de cacao, cette note un peu épicée, on a ces caractères de fruits qui sont beaucoup plus dans l’évolution, le côté cerise à l’eau de vie, le côté pruneau et on le fait d’une façon classique avec des restaurateurs quand on joue le chocolat avec une petite touche de fruits soit pruneau, soit cerise, soit fraise compotée qu’on retrouve également dans le Cabernet d’Anjou.
Mais dans cette hypothèse on est sur un gâteau pur, on est juste sur un gâteau au chocolat. Alors que l’objectif est de mettre en avant des notes plus subtiles comme les aromes torréfiés et cacaotés du Chocoroi.
Jean-Michel Monnier : Globalement c’est plutôt le pinot noir qui se mariait mieux avec le gâteau et le pinot noir c’est pas ce qu’on a le plus dans notre région, oui dans le Sancerrois mais moins dans la partie angevine…
Et puis les recherches ont balayé les moelleux
Avec Cécile Bécam, qui est aussi dans le monde du vin, on a gouté des vins blancs moelleux : on n’a trouvé aucune correspondance aromatique. En partant sur les rouges, l’amertume du cacao écrasait un peu le vin et faisait ressortir les tanins. Les rosés demi-secs étaient souvent trop doux avec un caractère fruité et un côté bonbon qui faisait une fausse note au niveau de l’accord.
Les fines bulles ? Oui, les fines bulles rosées types crémants de Loire rosé, Touraine rosé on était sur un mariage de raison, pas un mariage de passion, ce n’était pas inintéressant mais le mariage était simple, et puis avec les fines bulles rouges- ce sont des demi secs- on a une expression de lourdeur gustative qui ne se marie pas avec le chocolat.
Mais en ouvrant la piste des fines bulles blanches…
Jean-Michel Monnier s’est rendu compte qu’il y avait là un mariage étonnant :
On était sur un mariage où l’amertume du chocolat faisait ressortir une amertume dans le vin, donc quelque chose à jouer au niveau du dosage de ces fines bulles blanches. Par contre au niveau aromatique on n’avait aucun rapport. On a commencé à creuser la question en se disant si on pouvait jouer sur de fines bulles blanches, fraiches, vives, toniques mais en même temps pas sur le chenin car sur le chenin l’impression d’amertume ressortait complétement sur le gâteau au chocolat. L’idée a été de se dire dans ce cas là, il nous faut absolument un vin qui puisse être sur le chardonnay.
Quelles sont les appellations possibles ? Il n’y a que l’appellation Crémant de Loire qui peut être 100% cépage chardonnay alors que les autres, les Saumur, les Touraine les Anjou mousseux sont obligatoirement avec une association du chenin en dominante soit 60% soit carrément 80% de chenin minimum.
Donc l’appellation Crémant de Loire s’est imposée d’elle même. Puis ensuite on s’est dit qu’il nous fallait la finesse mais pas trop d’acidité. Donc on est parti sur un vin issu de raisins le plus murs possibles…
La démarche d’une méthode ancestrale s’est alors imposée,
pour avoir un vin qui fasse 13 degrés naturels lors du ramassage.
Le problème était : on est sur des fruits, on est sur des fleurs, mais il nous manque le petit relief entre les deux. Et le relief pourrait venir par des notes cacao, or elles ne sont pas présentes sur le chardonnay. Donc on s’est dit si ce chardonnay était fermenté et élevé en barrique et surtout en barriques neuves, on allait trouver le lien : le côté grillé, fumé dans le vin par l’élevage en barrique et en même temps dans le gâteau au chocolat avec ses notes très cacaotées.
C’est ainsi qu’a été élaborée au château Piegue avec Antoine Vandereck une première cuvée il y a 2 ans maintenant : un 100% cépage chardonnay naturellement ramassé à 13,2 degrés d’alcool, fermenté en barriques neuves, la fin de la fermentation alcoolique ayant lieu à l’intérieur de la bouteille.
il y a juste un tout petit dosage au niveau de la liqueur d’expédition pour avoir un mariage très raisonnable plus sur la fraicheur et l’acidité avec le vin.
Et puis cette année on a continué cette démarche. Antoine Van der Hecht n’avait pas de raisin disponible pour faire cette 2° aventure avec des volumes suffisants et donc au domaine de Trottière, on a dupliqué la même cuvée de façon à jouer sur 2 types de terroirs toujours du schiste mais avec du gravier ou avec de l’argile en surface.
Le résultat gustatif est très intéressant et la démarche de l’œnologue exemplaire de ce qu’il est possible d’élaborer pour s’accorder avec un produit unique.
Jean-Michel Monnier : quand vous goutez le gâteau c’est le côté ganache qui explose sur ce caractère cacaoté. Le vin lui donne un côté un peu tranchant qui l’allège complètement et le vin vient se nourrir sur la fin du gâteau avec ce caractère beurré…
Cette étonnante démonstration de Jean-Michel Monnier a fait l’objet d’un Master Class au dernier salon des Vins de Loire à Angers.
Nicolas Becam : j’ai toujours bcp de plaisir à boire ces bulles avec le gâteau, vous le sentez comme moi, on a toujours un bon gout de chocolat en bouche et c’est grâce au cépage Chardonnay qu’on arrive toujours à avoir cette explosion du met dans la bouche, c’est toujours le met qui prend la main dans le palais et non pas l’inverse, c’est ça le vrai plaisir…
Derrière la démarche de l’œnologue, la démarche marketing n’est pas non plus très loin derrière car elle inscrit la cuvée dans une gamme de produits qui comprend en plus du gâteau, la buche, l’éclair, les macarons, les bonbons, le miel, les mugs sous une même marque : Chocoroi ! L’ensemble est très bien réalisé. Bravo.
François